Mon père, Marius VALIERE avait fait preuve , dés
l' enfance ,d' un don artistique certain . Mais cette enfance fut
difficile : le papa étant mort à 26 ans (à
Toulon) la maman restait toute jeunette (19ans) sans ressources.
Elle retourna à ALBI auprès de sa mère Lisa
et de son beau-père Joseph, tous les deux veufs . C' est donc
le "pépé Joseph" qui joua auprès
de l' enfant le rôle de père . Mais,le temps venu, il ne
pouvait être question de lancer l' adolescent dans des études
artistiques aléatoires. Il fut instituteur. Son éducation ,
Marius la fit en copiant les gravures de ses livres scolaires ou
les images du calendrier .Il disait avoir "usé une brouette
de crayons" à cet exercice . D' ou lui venait son
"coup de crayon"? Mystère . Les VALIERE du village
de BOURGNOUNAC, petits agriculteurs durs à la peine n' auraient
guère eu le temps , ni les moyens de dessiner : il fallait
d' abord nourrir des nichées de dix ou douze enfants .Dans
son métier d' instituteur mon père expliquait beaucoup
par le dessin et ses modèles d' écriture tracés
à la craie sur le tableau noir étaient des merveilles. Néanmoins
dans sa jeunesse , il eut une chance : lors de son service militaire
au 81em régiment d' Infanterie cantonné à Narbonne
, il rencontra un "vrai" peintre Adrien OUVRIER .Je crois
qu' ils se retrouvèrent à la guerre de 14 puisqu'
ils
avaient du , l' un comme l' autre , enchaîner ces deux tragi-comédies
: le service militaire et la guerre . Adrien OUVRIER ,disait
papa , avait fréquenté l' Atelier de CORMON . Il donna
de précieux conseils à papa qui fut "bon élève"
. Il lui disait par exemple "Si tu peins un paysage
ou un monument tu peux arriver a être un bon amateur . Le jour ou
tu pourras y ajouter la silhouette d' un petit personnage , tu seras
un peintre " Combien de fois ai-je entendu papa répéter
cela - Il me racontait aussi , qu' encore tout jeune étudiant,Adrien
dessinait la façade d' un monument de genre classique ; son
professeur s' étant arrêté auprès de
lui , dit : "-Vous les avez comptées les fenêtres
?" Réponse du débutant "-Oh
oui! je les ai comptées " Les deux amis riaient
beaucoup de ce trait . Adrien OUVRIER a du faire deux séjours
chez nous à l' école du village de Jouqueviel aux limites
Nord de notre département . Une premiere fois en
1922 , et une autre fois après son mariage .J' ai gardé
le souvenir de son épouse , une brunette vive et jolie .
Adrien lui, était plus clair sous sa chevelure frisée
, et souvent ailleurs , dans son monde d' artiste....... ........Un
matin papa me dit : "Nous allons rejoindre Adrien ; il est
en train de peindre à la Roubertie " Et nous
voila partis à travers sentiers et champs . Nous ne tardons
pas à trouver notre homme devant les grands horizons du plateau
aux croupes lourdes , ou la rivière Viaur s' incruste en gorges
si abruptes qu' elles en deviennent invisibles . Le village que
vous voyez là , à portée de main , vous le rejoignez
au bout de dix kilomètres de route tortueuse . J' étais
fort intéressé par cette armée de tubes
et cette palette ou chantaient tant de couleurs et de nuances .
Et ces petits flacons d' huiles ambrées , et cet autre qui
contenait du "siccatif" Notre artiste cueillait
de ça , de là du bout du pinceau un soupçon
de couleur , qui trouvait sa place , comme par magie ....tant d'
aisance
! tant d' habileté! tant d' acuité dans le regard! Ce
tableau que j' avais vu s' élaborer sous mes yeux , je sais
ce qu' il est devenu . Adrien l' avait offert à mon oncle ,
frère de maman , lorsque ce dernier s' est marié en
1926. Sur cette image il me parait y avoir une remarquable étude
de feuillage au premier plan et , au delà , le moutonnement
du plateau et sa géométrie de bois et de champs . Le
dernier témoin que je retrouve est une carte de 1930 ou Adrien
dit avoir exposé au Salon des Artistes Français .Et
puis, la vie !..... Mais papa a toujours parlé avec affection
de son ami OUVRIER.
Quand je me suis réinstallée à Carmaux ,
à la mort de mon mari ( en 1990) j' ai apporté mes
petites images ....... // ........Elles restent autour
de moi , ces petites images doublement chères. C' est mon
pays d' enfance , le Ségala , auquel je me suis si profondément
identifiée que je signe mes petites oeuvres littéraires
"Ségaline"
C' est aussi le souvenir d'Adrien Ouvrier qui a pris place dans
le petit cinéma de mes souvenirs , petit cinéma qui
,
aujourd'hui
m' aide à vivre ma solitude et mon vieux temps L.B.V.
juin 2001
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